Depuis octobre, je suis en résidence au lycée Chennevière-Malézieux, un lycée professionnel situé dans le 12ème arrondissement de Paris où l'on étudie entre autres la chaudronnerie, la maintenance, l'usinage. Cette résidence s'inscrit dans un dispositif financé par l'Académie de Paris et la DRAC Ile de France. Elle est également soutenue par ARCADI et la Fondation du Crédit Mutuel en partenariat avec les Ecrivains Associés du Théâtre et la Charmante Compagnie.
En résidence? Qu'est-ce que cela signifie? En bref, un temps de présence inhabituellement long (plus de 150 heures) à l'intérieur de l'établissement en compagnie des élèves. Voici comment nous présentons le projet, le proviseur monsieur Galeazzi et moi-même.
La
violence naît de la distance trop grande entre désir et objet du
désir. Ce que l'on souhaite, on ne peut l'atteindre. L'écart
s'avère à tort ou à raison irréductible. Cette incapacité à
obtenir, en particulier quand elle se répète, est un déclencheur
de gestes qualifiés d'irréparables.
Toute
la philosophie de l'école, comme nous l'a rappelé le fameux film
documentaire de Nicolas Philibert au titre évocateur « Etre et
avoir », prône l'épanouissement de l'être
en regard du besoin d'avoir.
D'autant que ce besoin d'avoir est exacerbé, voire créé de toute
pièce, par la société de consommation.
Nous
vivons dans un univers corrosif dont la nécessité du « toujours
vendre plus » gave les individus comme des oies et liquéfie
l'identité. Tout notre environnement surchargé d'objets magnifiés
rendus désirables nous incite à avoir et non à être, à posséder
pour soi et non à exister avec autrui. Le paradoxe est que l'offre
est si multiple et si vantardisée par la publicité qu'il nous est
impossible d'acquérir ne serait-ce que le minimum en apparence
indispensable et que la frustration chronique nous gagne. La société
du spectacle cloisonne et isole, annonçait Guy Debord, constat
repris aujourd'hui par nombre de philosophes à commencer par Bernard
Stiegler. L'une des manifestations de cette corrosion la plus
évidente est le faux-semblant : faux-semblant du culte de
l'individu en individualisme, faux semblant du relationnel entre
personnes en liens internet et autres réseaux sociaux
virtuels...etc...
N'oublions
pas que les adolescents sont désignés comme des cibles notoirement
intéressantes car malléables, influençables et par définition
pleins d'avenir. Voilà évidemment qui n'explique pas toute la
violence mais permet une entrée en matière qui concerne les
lycéens. Je propose de suivre cette piste pour traiter avec eux
cette question de la violence et celle induite du passage à l'acte.
Thème de la résidence : LE CRI
Pourquoi
crier ?
pour
libérer sa peur, sa rage, son angoisse, son énergie, sa colère,
son désespoir, son impuissance, son trop-plein…
« La
violence est ce qui ne parle pas » dit Gilles Deleuze... donc
pour tenter d'évacuer cette violence-là...
parfois
pour faire partager sa joie, sa réussite, son amour...
Trop
souvent les paroles entre adolescents se résument à des moqueries,
insultes, invectives, critiques, provocations et ça dégénère.
Le
cri comme porte d'entrée pour aller plus loin, dépasser la violence
verbale et physique, mettre des mots sur tout cela qui anime et
bouillonne, nommer ce qui d'habitude est tu.
Le
cri, c'est aussi la manifestation d'un engagement, il est la parole
qui perce le silence dans l'espace publique. « Allier le
pessimisme du constat à l'optimisme de la volonté » disait
Gramsci. En ce sens, le cri est l'expression d'un espoir, d'un acte
dans le but de changer le monde et de mieux vivre ensemble.
Par
le décalage qu'il propose, le thème du cri ouvre la porte à des
déclinaisons en nombre, et ce dans l'ensemble des disciplines :
ateliers d'écriture, travaux en arts plastiques mais aussi en
technologie, en langue, en science..., approches du théâtre...
L'exploration du cri dans toutes ses manifestations est l'objet
artistique de la résidence.
Avec les élèves de 3ème prepapro et leur professeur d'arts plastiques, monsieur Duchesnes, nous avons travaillé sur un logo de la résidence qui symboliserait le cri. Voici le projet qui a été sélectionné par le Conseil des délégués pour la Vie Lycéenne:
Enfin voici deux textes, toujours écrits par des élèves de la 3è prepapro. D'autres suivront.
Je n'ai plus de sourire
Jambes vides
Coeur affaibli
Visage décomposé
Plus le même
L'impression de n'être que verre extrêmement fragile
Envie de pleurer
Ne pas parler
Ne plus chanter
Le rire me fait mal dans tout le corps
L'impression que la terre s'écroule sur moi
Comme si je ne pouvais vivre
Un morceau de rien
De la poussière
Plus de cœur
Plus de corps
Plus de membres
Plus que de la fumée
Vivre sans vivre
Etre heureux en étant malheureux
Ne plus être le même
Pleurer du cœur mais pas de physique
Se sentir dans la pénombre
Nul nul nul
Etre un cas à part
Maux de tête insupportables
Etre comme un zombie
Etre rien rien et encore rien
Ne plus voir clair
Avoir un mal très profond
C'est ce qu'il y a de plus triste
L'homme rentre du travail. Il saisit la poignée et ouvre la porte. Il voit un trou noir qui aspire son corps et il crie de toutes ses forces :
- Où suis-je ?
Il fait noir, il fait froid. L'homme crie :
- Il y a quelqu'un ?
L'homme entend l'écho de sa voix. Il continue à marcher sans savoir où il va. Tout à coup il entend une voix de femme :
- Viens vers moi.
- Qui est-ce ? dit-il en tremblant.
- Une personne qui peut t'aider, dit-elle d'une voix douce.
Le coin des logos ;-)
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