J'anime un atelier d'écriture au lycée horticole de Montreuil. Il s'agit de la classe préparatoire aux écoles de paysagistes. J'ai imaginé pour ces étudiants un cursus que j'ai intitulé "du paysage au visage", une manière d'indiquer combien l'homme a façonné et façonne toujours son propre environnement.
En résumé, la consigne de vendredi dernier était la suivante:
1. Vous êtes immobile. Décrire ce qui vous entoure
2. Vous vous mettez en mouvement. Donner quelques aperçus du parcours.
3. Voilà une frontière. Comment la franchir?
4. Vous êtes confronté à une image de vous-même.
5. Vous passez la frontière. Et au-delà?
Il y a eu des textes tout à fait passionnants. Comme souvent dans les ateliers que je propose, moi aussi je me suis mis à écrire...
La salle de classe pendant l'atelier, aquarelle, Bruno Allain |
Devant lui tout est blanc
ça brille ça aveugle ça myriade ça gueule tellement c'est blanc
on dirait les reflets du soleil sur une neige tombée la veille
peut-être
ou la surface vibrante d'une feuille de dessin papier 300 grammes vierge légèrement granuleux sous un projecteur Svoboda
il cherche le mot qui conviendrait le mieux à ce blanc inouï qui s'étale à ses pieds
il en récite dans sa tête tout un tas qui ne collent pas
blanc laiteux blanc lessive blanc titane le blanc des murs peints à la chaux d'un village grecque au sommet d'une colline avec ciel bleu immaculé blanc colombe blanc marguerite blanc silence
il ne trouve pas
même le ciel là où il est lui même le ciel est blanc un blanc de brume qui n'empêche pas la lumière d'éclabousser car la brume est très fine même si très blanche au point qu'il en prend plein la tronche
il ferme les yeux des tâches blanches glissent sous ses paupières elles sont en forme de patates disgracieuses il rouvre les yeux pas de magie rien n'a changé
il respire il marche
le blanc se déplace au loin au fur et à mesure de son avancée
un trait d'horizon blanc sur blanc qu'il aperçoit cependant
il se retourne
ses pas laissent des traces
empreintes de ses baskets
rayures en zigzag
ondulation de sable blanc quand la mer est calme
il remarque que les traces s'effacent ou plutôt s'évapore tant il fait chaud
il marche
plus il marche plus l'horizon s'éloigne
c'est énervant cette impression
il marche encore ça continue il court maintenant
et plus il court vite plus vite la ligne s'éloigne
c'est un cauchemar
il court encore il halète il est un poisson il cherche de l'air
et soudain une guérite avec une barrière blanche et un type en casquette
le type est âgé il porte la barbe on devine la couleur
il dit qui va là?
et lui moi
et lui qui vous?
et lui je me demande
et lui non c'est moi qui demande
et lui je m'y perds
et lui moi aussi
et lui je peux passer?
et lui c'est ouvert
la barrière se lève
il avance il passe il marche il chante il arrive au bord il vole il s'exclame c'est beau la vie
Bruno Allain
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