20.4.15

Résidence au lycée Chennevière-Malézieux et CRTH

Depuis plusieurs années, j'anime un atelier d'écriture au Centre Recherche Théâtre Handicap où, suivant la philosophie de la maison, nous nous retrouvons valides et handicapés autour d'une même table. Le partage de nos expériences, de notre vision du monde, de nos singularités est d'une richesse inouïe. Et nous essayons ensemble d'y voir un peu plus clair dans la complexité de l'écriture dramatique.
J'ai tenu à ce que deux univers se rencontrent, celui des membres du CRTH, celui des lycéens de Chennevière-Malézieux. Nous avons choisi d'exposer des textes écrits de part et d'autres. Ci-dessous quelques exemples venant du CRTH...


Exposition au CRTH


Ça me prend, je suis angoissé ça me prend. Chercher, trouver, me reposer. Un article, je veux relire un article. Peu importe lequel. Enfin non c'est mon inconscient qui décide. Il est implacable, mon inconscient, il me fait des misères, il me traîne dans la routine. Tiens, c'est un article de Luc Ferry, célébrant les vertus de l'anglais comme langue d'enseignement, mais ça aurait pu être n'importe quel autre article, à un autre moment. Je sais et pourtant je subis. Pourquoi je n'arrive pas à me raisonner  ? Pourquoi ce besoin viscéral de relire l'article, ce texte anodin qui me brûle  ? Il y a le Canard Enchaîné. Moi ce sont les canards qui m'enchaînent. J'ai la haine. De moi, de ces obsessions qui fusent comme des rats et qui me bouffent la vie. Il faut que je relise mais pourquoi il faut  ? Ça fait 20 ans que je suis en psychothérapie et je n'ai toujours pas déconstruit ce il faut. J'aimerais vivre. Pas comme un animal. Pas à l'instinct fut-il surnommé inconscient. Je veux piétiner tous ces journaux. Je veux les piétiner, les écraser, les... Je n'arrive pas à les jeter. Je m'agrippe à eux, ils m'étranglent. Je soulève tous les autres journaux, les papiers, les livres, les bidules,  je veux retrouver l'article, cet infâme article, le lire goulûment, l'étreindre comme une femme. Et après j'aurai crevé l'angoisse. Mais est-ce de l'angoisse  ? Ne serait-ce pas plutôt de la futilité  ? Oui, ça doit être ça. De la futilité, moi, le plus inutile des hommes. Si j'avais un boulot... une activité ou un amour. A quoi ça me sert  ? Et la psychothérapie ça sert  ? Les journaux, la maladie, mes journaux sont les bandelettes d'un fou brûlé par la déraison et qui voudrait raisonner. Un taureau, je suis un taureau qui une fois qu'il a entrevu la muleta fonce dans son obsession jusqu'à ce que la fatigue le gagne. Mes obsessions sont des traquenards. Il faut que je trouve des ruses de guerre. Mais je ne suis pas rusé. Plutôt bourin que goupil. Un taureau sans le gabarit et sans la mort au bout, un taureau qui gâche sa vie. L'humanité, c'est encore loin  ? Non pas la fête ni le torchon, juste la qualité... Je revendique ma qualité d'être humain. Je suis obsessionnel... Et après  ? So what  ? Qu'est-ce que tu fais  ? Ah oui j'oubliais, je suis aussi schizophrène. Les journaux sont le ciment qui unifient mon moi déchiré. Vous voyez, je sais. C'est pour quand la guérison  ? Allez, je vais jeter un journal, le journal de la veille, celui dont j'ai lu tous les articles. Une petite victoire, cela fait longtemps que je ne crois plus au grand soir.

MH membre du CRTH


L'internat et le bandeau noir
J'avais 6 ans lorsque mes parents avaient décidé pour mon bien de me mettre dans une école spécialisée. Il fallait que j'apprenne le braille avec mes semblables puisque dans l'école ordinaire où ma mère était institutrice il n'y avait pas de place pour des enfants comme moi. C'est dans cet internat que j'ai découvert ma différence et ce monde méconnu, abandonnée, seule. J'attendais le week-end avec impatience pour que mes parents viennent me détacher de l'enfer et me prenne dans leurs bras. C'était un endroit assez spacieux, une cuisine collective, une grande cour et un jardin gigantesque. J'y jouais et m'y cachais. C'était mon unique refuge. Pour ce qui est des chambres, elles étaient nombreuses, il n'y a rien à en dire  : tel un dortoir sans intimité car d'autres enfants envahissaient la pièce dépourvue de chaleur humaine et affective. Personne ne venait au chevet de mon lit m'embrasser, me conter une histoire, ni me faire un bisou et me dire «  je t'aime  ». Je dirais maintenant que j'étais là-bas à cette époque une SDF. 
Passons à présent à ma salle de cours, ma classe, mon véritable calvaire du matin au soir sauf durant la pause déjeuner où je pouvais respirer. Dans cette classe, je ne retrouvais plus le tableau et la craie  ; plutôt des feuilles épaisses, un poinçon, une tablette en métal pour tenir la feuille et une règle pour se repérer. Tout y était tactile. La vue en était exclue complètement. J'avais mal au ventre, des sensations de vomi et des maux de tête atroces qui m'accablaient chaque jour. Pour développer le toucher, ma chère maîtresse qui était voyante – je le précise – m'empêchait de voir en me couvrant les yeux avec une étoffe noire. Je me sentais perdue davantage. Je n'avais pas ma place, ni chez les voyants, ni chez les non voyants. 
Depuis le fantôme du passé me persécute et nage autour de moi sans cesse comme un air impalpable.

H membre du CRTH

Lien avec le CRTH : www.crth.org
D'autres articles sur la résidence en remontant ce blog...

Aucun commentaire: